Le jour d'après

Publié le 17 Juillet 2014

Le jour d'après

Je ne sais pas si c'est l'arrêt de la cortisone, le fait d'avoir pris un grand vent de colère et de tristesse en plein visage, le grand vide que j'ai ressenti ou un peu de tout ça, mais j'ai dormi 10h. 10h durant lesquelles j'ai encore rêvé que l'homme m'avait quittée, et cette douleur était encore plus vive que celle que je ressens depuis hier, le vide encore plus profond. On se console comme on peut : ça pourrait être pire.

Hier, j'ai dit à l'homme qu'il m'avait trahie, que j'étais profondément déçue, parce qu'il m'a avoué, hier soir, avoir craqué, avoir fauté la veille du résultat : il a bu une bière. "J'y croyais je pense, je me suis relâché". Et moi froidement, je lui ai dit "tu m'as trahie, tu as trahi ma confiance". Je lui demandais juste de ne pas fumer et de ne pas boire (la numération de ses spermatozoïdes, déjà sous les normes, a chuté de moitié en trois mois, nouvelle tuile nommée oligospermie), pendant que moi, j'avalais des tonnes de cachetons aux effets secondaires insupportables et que je me faisais des piqûres, que je partais faire des prises de sang et des échos auxquelles il ne m'a JAMAIS accompagnée (oui je sais l'homme a besoin qu'on lui demande, l'empathie ça ne fait pas partie de ses attributions), le tout avec le sourire et malgré des nuits de maximum 4h. "je prendrais ta place si je pouvais". L'ironie de cette phrase... Je me suis laissé aller, dans un murmure, sans m'énerver, avec cet aplomb détestable "Alors que tu n'es même pas capable de prendre ton conceptio et ton maca sans que je fasse la maman à te dire de le prendre? Sans être capable de refuser une malheureuse bière pendant que moi je suis à la maison comme une crevarde devant un film pourri? Laisse moi rire".

Je lui ai fait du mal, j'ai été cruelle, j'ai enfoncé son chagrin, je n'ai pas respecté sa douleur. La colère s'était emparée de moi même si je n'ai pas crié. elle m'a accablée, elle a dicté sa loi. C'est officiel, la colère, je ne l'aime pas. L'homme en revanche je l'aime. Parce que malgré ma réaction et sa douleur, il est resté stoïque, le regard dans le vide et a cherché ma main à plusieurs reprises, jusqu'à ce que je craque et que je la prenne. L'infertilité ne nous aura pas, NOUS.

Ce matin, je suis allé renflouer mes stocks de tampax. Pour ma dernière FIV, j'ai longuement pleuré dans le rayon, désespérée de me retrouver là alors que j'y croyais si fort. Là, résignée, l'oeil tout sec et froid, j'ai soigneusement choisi mon modèle en attendant le débarquement. Les larmes, elles sont sorties comme des fusées quand je suis passée devant le cimetière et ça, en tout honnêteté, je ne m'y attendais pas. Hier, avec l'homme, nous avons fondu en larmes en nous imaginant vieux. Vieux et seuls. Jusqu'à présent je souffrais de la douleur du ventre vide, mais c'était une douleur à la projection immédiate. Je réalise finalement qu'en avançant dans la PMA, après tous les échecs qu'ont été mes multiples FC puis les FIV, que tout cela nous pousse dans une profonde et terrible angoisse de mort. La mort de nos proches, de ceux que l'on aime, de la notre ; que notre douleur nous pousse dans nos retranchements, dans une peur implacable de solitude et de vide ; que même si je me relève, encore et encore, ça n'est pas sans cicatrice : j'aurai toujours l'impression d'être une unijambiste qui veut courir le marathon sans savoir où se trouve l'arrivée.

J'ai toujours cherché à contrôler. : ma vie, mon corps, mes émotions, mes sentiments, ma réussite, mon image, mon avenir... Parce que dès mon plus jeune âge, ma vie m'a échappée. Alors, en pleurant au fond de mon lit, je me suis toujours promis que je me construirai un avenir meilleur, un avenir où tout serait possible. Et j'ai réussi, j'en suis convaincue. J'ai réussi tout ce sur quoi j'avais la possibilité d'agir. L'enfant que j'étais ignorait que tout n'était pas possible, que parfois, même quand on désire les choses très fort, on ne peut rien y faire. Comme la mort de quelqu'un que l'on aime. Comme l'absence d'un bébé que l'on désire pourtant de toute notre âme. J'ai mal parfois d'avoir trahi mes promesses d'enfant. La petite fille que j'étais, sait-elle que j'ai fait de mon mieux? Comprend-elle que je ne l'ai pas trahie, que je ne peux pas tout contrôler?

Hier j'ai pensé à me remplir, pour compenser, pour me venger, pour disparaitre, un peu plus. Et je ne l'ai pas fait. C'est une nouvelle victoire contre moi même, un nouveau pas dans la réconciliation de mon âme avec cet autre moi qu'est mon corps. Je sais qu'il a fait de son mieux. Je sais que si les embryons ne se sont pas implantés c'est qu'il y a une raison, et que cette raison ça n'est pas la fatalité ou un putain de barrage psychologique . Mais je n'y peux rien, les chiffres, implacables, tourbillonnent dans ma tête et me donnent le tournis :

4 ans et demi d'attente.

7 fausses couches et 29 embryons obtenus avec la PMA. Soit 36 mini nous qui ont fini au fond des toilettes ou dans une poubelle. 36 petites lueurs d'espoir emportées avec nos larmes et notre espoir d'être un jour parents. 36 raisons de ne plus y croire. C'est bien trop, beaucoup trop pour mon petit coeur en miettes.

Cela faisait deux mois que j'étais sur un nuage et que j'avais conscience que ce bonheur était fragile. Chaque jour heureux gagné ne pouvait pas m'être repris et j'en ai profité autant que j'ai pu. Si la vapeur peut violemment se retourner dans un sens ou une journée, je sais que ça peut être le cas dans l'autre sens. Alors je vais attendre, patiemment, que mon incommensurable chagrin s'atténue et que l'espoir revienne. Car pour le moment, il est soigneusement caché sous des tonnes de colère, de déception, de tristesse et de désespoir. J'ai besoin de passer par ce sombre tunnel avant d'être éblouie par un brillant soleil.

C'est comme ça. J'accepte. Chaque chose en son temps.

Hier, j'ai décidé de refuser que la douleur soit un choix.

Hier, j'ai décidé de refuser que la douleur soit un choix.

Rédigé par Carotte

Publié dans #Etats d'âme, #FIV 2

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M
:( Avec toutes ces chances mises de votre côté, tous ces &quot;sacrifices&quot;, la chute est plus dure encore, j'imagine. Je compatis très sincèrement à votre douleur, je suis sure que tu te reconstruiras et que tu ariveras, en octobre ou en septembre, regonflée à bloc. En attendant, pense à autre chose, vis ta vie, bois une bière s'il le faut (vengeance !), hurle, crie, mange, aime. Je te fais un gros câlin, si tant est que cela peut te réconforter. De gros bisous. <br /> Sinon, je trouve personnellement que la &quot;faute&quot; de l'homme n'est pas très grave (si ?). Mais ça doit être parce que je suis une alcoolique.
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C
Merci Marivalou pour ce gentil message. Bien sur que la faute de l'homme n'était pas grave, elle tombait au mauvais moment, et ensuite parce que je lui ai posé la question. Après avoir pleuré des heures et avoir été submergé par un tsunami de pensées et d'émotions négatives, on n'est pas très objectif... J'étais en colère, l'homme a été ma victime. Je n'en suis pas fière. La fêtards que je suis veut retrouver sa vie d'avant (et ses verres de rouge aussi!!!). On attend le debrief et on attend le plan d'attaque... Plein de bisous
B
C'est si dur... <br /> Je pense très très fort à toi <br /> Je me sents complètement désarmée de ne pouvoir rien faire pour soulager ta peine... <br /> &lt;3
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C
Prendre le temps de venir me mettre un petit mot, me dire que tu compatis (parce que c'est la vraie compassion, celle qui réchauffe), c'est déjà beaucoup. Merci bulle :)
M
C'est clair, c'est trop injuste.. <br /> Et tout ce que ça fait peser sur nos couples pourtant si solides.. <br /> Tu le sais, je suis de tout cœur avec toi et je suis certaine que le brillant soleil n'est pas loin!
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C
Overbloc commence à me chauffer tssss.<br /> Merci Mishqui, le brillant soleil ne sera peut être pas celui que l'on attend mais c'est le charme de la vie. Plein de bisous
M
PS : Moi non plus je reçois pas les notifications :(
L
Putain, mais j'ai encore pas eu la notification!!<br /> Oh, ma Carotte, quel déchirement, quelle saloperie...<br /> Je suis pas très forte pour trouver les mots qui réconfortent, mais sache que même si je n'ai pas la moindre idée de ce à quoi tu ressembles, j'ai très très envie de te prendre et te serrer la main, moi aussi.
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C
Merci La Chouette... Plein de bisous
I
Quel tourbillon d'émotions si bien décrit et écrit, Carotte ! Alors toi aussi, t'es une control freak ?<br /> De mon côté, j'essaie de me dire que je fais déjà tout ce qui m'est possible de faire pour tenir mon enfant dans les bras.<br /> Ce n'est pas suffisant car j'aimerais pouvoir faire encore plus et que j'ai horreur de me dire que c'est la fatalité.<br /> J'espère en tout cas que déverser le surplus ici t'aura aider à te sentir un peu plus légère.<br /> Bisous
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C
Oui ça me fait beaucoup de bien. J'écris depuis toujours, mais les émotions négatives, je ne les écrivais pas, car je ne voulais pas m'en souvenir. Aujourd'hui, après avoir appris à les accepter, et donc à les écrire, le blog est plus qu'un dévouloir c'est un besoin, un vrai besoin. Ecrire c'est toujours plus facile que de parler...<br /> Et oui je suis une control freek, ça s'applique pour tout... Toi aussi ^^Bree Van Der Kamp, sors de nos corps ^^Merci pour tes jolis compliments...